J'ouvris la porte doucement. Elle grinçait légèrement. Je m'avançais peu à peu dans ma nouvelle chambre, tractant ma valise à roulette. Le soleil déclinait déjà. Les murs blanchâtres avaient une légère teinte orangée.
Je sortis de ma valise, un livre dont la couverture en cuire brillait faiblement. Il était vieux. Quelque pages étaient un peu écorchées ou déchirées. Le papier avait jaunis avec le temps. Je pris un stylo noir avant de m'asseoir sur le lit et de tourner rapidement les pages. Une écriture d'abord maladroite s'affichait. Un autre semblable, mais plus assurée la remplaça. Il y avait des tâches d'eau faisant baver quelques lettres. Des ratures, des dessins.
- Longtemps... Que je ne l'ai pas relu.
Je pris délicatement la première page. Je penchais un peu la tête et entamais ma lecture.
« Moi c'est Camille. Papa et maman m'ont offert ce cahier pour mon anniversaire. Je suis super contente ! Il est vraiment beau ! Et je peux écrire tout ce que je veux dedans. Oui donc, je m'appelle Camille et j'ai sept ans. J'ai deux dents de lait qui sont tombées. Et la souris est passé me donner des pièces ! Ah et chut, je sais que c'est maman la souris. Je la vois à chaque fois ! Puis mes parents, bah ils travaillent dans un musée ! Il y a des garçons et des filles qui disent que c'est nul... C'est pas vrai. Moi j'aime beaucoup. Les gens font des têtes bizarres sur les
photos tableaux. Et il y a des dinosaures ! Pleins de dino' ! Papa me laisse souvent y aller quand c'est les vacances. Papa et maman ne veulent pas que je reste toute seule à la maison. Puis je veux pas de nounous. Faut que je ferme la lumière ou maman va me disputer. Bonne nuit mon journal ! »
26 septembre 2003
« Oh, ça fait longtemps que je n'ai pas remis mon nez là dedans. Après tout, je ne le retrouvais plus. Maman a sûrement dû l'égarer en faisant le ménage. Je suis déçue de ne lire que peu de pages dans ce bouquin, mais ce n'est pas grave !
J'ai maintenant 9 et demi. Je suis en CM1 et j'ai de bonnes notes, surtout en Art plastiques et en Histoire. Puis c'est mes matières préférées. Je continue à aller au musée durant les vacances. Je m'ennuie un peu, donc j'essaye de dessiner ce qu'il y a dans les tableaux. C'est pas magnifique, mais ça m'occupe. J'aimerais que mes parents soient un peu plus là pour moi...»
04 Avril 2006
« Récemment, il y a un nouveau truc au musée. C'est très joli, ça brille et il y a plein de pierres précieuses. Papa et Maman sont fières d'avoir un objet aussi fabuleux. Surtout Papa. Il parait que ça a une valeur inestimable et que ça vient d'une personne très importante et connue qui n'existe plus. Ce n'est pas censé rester très longtemps dans le musée. Ce n'est que de passage. Papa dit que c'est dommage et que ça attirerait plus de visiteurs. Que ce serait une attraction. Je vois pas en quoi. Une attraction c'est pour s'amuser, non ?
Par contre j'ai peur. Depuis qu'on a cette relique, papa et maman reçoivent beaucoup de lettres. Ils ne me disent rien, mais ça à l'air grave. Ils sont toujours bizarres quand ils les lisent...»
15 Juillet 2006
« J'en ai marre... On a tagué la porte du garage, mon casier à l'école et aussi des vitres au musées... J'ai peur. Qu'est-ce qu'on nous veut ? Pourquoi on nous insulte et on nous menace. J'ai peur. J'ai peur !...»
21 Juillet 2006
« Je tournais la page pour faire face à une feuille à moitié déchirée et raturée de partout. Seuls quelques chiffre étaient encore visible. 2006. Je grimaçais. Je savais que je touchais à la partie sombre de ce livre. Mais il fallait que j'écrive. Que j'écrive pour continuer de me souvenir et de ne pas oublier cet "homme".
« Cela fait un peu plus de trois ans que je n'ai pas réussi à retoucher ce journal intime. J'avais peur d'y noter des choses que l'autre pourrait voir. Oui cet autre. Cet étranger qui s'est incrusté dans ma famille... C'est douloureux à s'en rappeler, mais je dois laisser des traces de ce jour : 06 Août 2006. C'était un dimanche caniculaire. Il faisait très chaud. On avait décidé de rester à la maison, au frais.
Je me souviens être restée dans ma chambre. C'était en fin d'après midi. Je dessinais un peu sur mon bureau, à côté de la fenêtre. Une ombre dehors attira mon attention. J'y risquais alors un oeil. Quelqu'un courait rapidement dans le jardin, un homme assez grand et vêtu de noir. Il avait sorti quelque chose de sa poche. J'imagine que c'était un briquet, mais en tout cas ça faisait des flammes. C'est ça qui a provoqué l'incendie. L'homme avait allumé plusieurs feu sur la façade de la maison et à l'arbre qui était juste à côté. L'homme regarda vers le haut et me vit à ma fenêtre. Sous ses lunettes de soleil, je pouvais nettement distinguer son air amusé. Il prit un morceau de bois, l'enflamma et le jeta à ma fenêtre. Je reculais pour l'esquiver, mais la moquette prit feu. Ça se propageait rapidement. J'appelais à l'aide et tout se passa vite.
Maman était sortie de la maison. Papa quant à lui était venu me chercher. On entendait la sirène au loin, mais il ne s'attarda point sur ce détail. Il me prit dans ses bras et courut au travers des flammes. Ne pouvant rien faire d'autres, je fermais les yeux, en larme. On arrivait dans le salon, et... Une poutre, puis deux, puis trois s'écroulèrent sur nous. Il n'y a pas que dans les films que ça arrive. Papa me jeta vers l'avant et recula juste à temps. Mais il était coincé. Je criais tout en me jetant sur l'une des poutres. J'essayais en vain de la soulever. Papa était en train de brûler sous mes yeux, tout comme ma main gauche. Un pompier me prit à se moment et me porta jusque dehors. Je crois que je n'ai jamais autant pleuré. Maman non plus. Il parait que Papa était méconnaissable... J'ai été tout de suite hospitalisée. Plus tard, un voisin nous logea chez lui, le temps de retrouver un nouveau toit...
Le monde n'a jamais été aussi ironique et cruel. Ce voisin était un avocat. Il paraissait gentil et avoir toutes les qualités. Maman en est tombée amoureuse. Elle s'est mariée avec lui, l'année suivante, après avoir fini son deuil. Cet homme m'offrait toujours des cadeaux, des gros et chers. Des cadeaux empoisonnés pour acheter mon silence. Je le regardais et je le regarde toujours sévèrement. Je sais que c'est lui. Quand on parle de Papa, il m'observe tout en posant un doigt sur ses lèvres, pour m'avertir. Mais maman ne m'écoute pas... "Il faut oublier" me disait-elle constamment.
Cet homme qui se prend pour mon père n'est rien d'autre que l'homme qui a tué mon vrai père ! Je le sais ! Et il le sait aussi, car il m'a vu ! Il m'éloigne de ma mère ! Depuis cette année, on me met au pensionnat du collège. Quel hasard ! Quel heureux hasard ! Je m'inquiète pour maman... Je ne veux pas la laisser avec cet homme. J'arriverais à le faire parler ! Un jour. Avocat ou non ! »
03 Septembre 2009
« A chaque vacance, je vois sa tête dégoûtante et l'air fatigué de maman. Je m'inquiète un peu. Le savoir avec elle, toute seule, ne me rassure pas des masses. »
19 Févirer 2010
« J'ai eu mon brevet avec mention très bien ! Maman est fière de moi, j'ai hâte de rentrer et de la revoir ! Et il y a des feux d'artifices et c'est ma fête aujourd'hui, si ce n'est pas cool ! Et c'est homme est en voyage d'affaire, je n'aurais pas à voir sa fichue tête de rat. »
14 Juillet 2012 »
J'enlevais le capuchon de mon stylo. La bille roula sur le papier jaunis, laissant des traces d'encre sur son passage.
« Cher journal, je suis enfin arrivée à bon port. Ma chambre est plus spacieuse que ce à quoi je m'attendais. Les bâtiments sont très beaux. Et les gens me paraissent assez sympathique. Encore une fois, je me retrouve dans une école avec pension complète, mais j'ai voulu venir ici. Il parait que c'est une école assez cotée. La rentrée se fait demain, je suis curieuse de savoir qui j'ai dans ma classe, qui sont mes professeurs, etc. C'est vrai que je suis très méfiante et je parais pas très sociale au premier coup d'oeil, mais... Un peu de compagnie n'a jamais fait de mal. Aller, que cette nouvelle vie de lycéenne commence. »
05 Septembre 201X
Je m'accordais une dernière lecture avant de fermer le bouquin et de le ranger au sommet d'une étagère. Je devais partager ma chambre avec quelqu'un. J’espérais que ce n'était ni une personne bruyante, ni une trop curieuse. Mais bon... Maintenant faut déballer tout cela. Je pris en main ma valise et l'ouvrit. En avant gin-gan...