Il ne suffit pas d'être un connard, il faut être fier de l'être. | Richard Eloi

Tu m’aimes ? qu’elle disait avec un sourire malicieux, et ses yeux riaient parce qu’elle connaissait déjà la réponse, il le lui avait déjà dit tant de fois. Et lui de répondre bien sûr que je t’aime, je t’adore même, d’un amour fou, à l’infini, et rien ne pourra jamais nous séparer, parce que tu es mon seul et unique amour, la femme de ma vie, tu es mon cœur et ma chérie, tu es ma Manon à moi. Manon et Richard. Ça sonnait bien, c’était fait pour aller ensemble, ils étaient jeunes et beaux, ils étaient adorables, et ils ne se quittaient pas d’une semelle. Ils avaient déjà des projets, une maison à la campagne, pour qu’un petit garçon s’y épanouisse en courant après les papillons en été, et qu’en hiver, il observe les flammes dans la grande cheminée, blotti contre le chien. Alors quand Manon mourut d’un accident de voiture, le monde s’écroula pour Richard. La journée avait été superbe, il avait reçu des bénédictions de la part de ses collègues pour l’arrivée de leur futur petit gars, Manon était enceinte de bientôt huit mois. Sous le choc, il s’était rendu à l’hôpital, mais on lui avait dit qu’il n’y avait rien à faire, la jeune femme avait rendu son dernier soupir lors du transfert aux urgences, c’était malheureux, surtout qu’elle avait le bébé, et puis elle était jeune. On présenta quelques condoléances au jeune homme, et puis on lui fit comprendre que c’était comme ça, que la terre allait pas arrêter de tourner pour une morte, y’en avait des centaines ailleurs dans le monde. Mais ils pouvaient pas comprendre, ça pouvait pas être vrai, ça pouvait pas avoir lieu, c’était juste un mauvais rêve, et il voulait se claquer pour se réveiller. Mais la vie était cruelle, désormais chaque matin en se levant, il croyait sentir la douce chaleur de Manon près de lui sous les couvertures, il tendait la main pour caresser sa peau, passer la main sur son ventre tendu, y poser un baiser comme chaque lever, mais il ne sentait que le matelas froid sous ses doigts, et il sentait les larmes affluer comme chaque aurore. C’en était presque devenu une torture, Richard avait longtemps pleuré, à l’enterrement il s’était retenu comme il pouvait, il n’avait fait que penser à ce que Manon avait imaginé avant de mourir, si elle avait eu mal, si elle avait songé à lui et son malheur quotidien. Mais c’était pas sa faute, c’était celle de cette foutue vie, il avait même considéré la mort comme une issue, mais il s’était dit que Manon ne voulait sûrement pas qu’il la rejoigne sitôt, elle aurait voulu qu’il soit heureux, qu’il se trouve une autre nana, mais Richard se complaisait dans sa tristesse, il ne voulait plus entendre parler de qui que ce soit. Il devint solitaire, buveur. Ses amis ne le trouvaient plus comme avant, c’était normal, qu’ils disaient, mais en même temps ils s’éloignaient, l’attitude de Richard leur faisait peur, maintenant. Il avait changé, il était devenu plus sombre, plus cynique, brutal, et ses proches ne le reconnaissait plus. Manon avait changé sa vie, en bien comme en mal, et il avait été tenté de faire disparaître tout ce qui s’apparentait à elle, mais rien ne pouvait effacer les souvenirs. Une odeur, un coin de rue, un morceau de tissu, tout la lui rappelait, et il se noyait dans l’alcool pour dissoudre sa douleur. Au bout de trois ou quatre ans, il recommença à vivre, il sortait, il retrouva un poste d’enseignant dans un bahut réputé, il était le Richard que nous connaissons bien dorénavant. De Manon, il n’y avait plus que des photos, et un petit prénom, inscrit en bas du cadre. Il avait bien essayé de retrouver l’amour, mais tout ce qu’il pouvait soutirer des nanas, c’était une nuit de chaleur, elles ne restaient jamais bien longtemps, et c’était pareil pour les mecs, aucun ne ressentait un début de sentiment pour lui, aucune ne voulait partager sa vie, il lui semblait que seule Manon était l’élue capable de cela. Pourtant, il savait dissimuler sa peine, il riait, il apprenait à charmer les dames, à cacher son passé, à les rendre folle amoureuse le temps d’un soir, et puis il savait qu’elles s’évaporeraient, comme Manon et le petit, comme ses amis et ses proches, comme tout le monde. Au fil du temps, ça ne lui faisait même plus chaud ou froid, c’était juste comme ça, c’était habituel, c’était comme ça qu’il fallait vivre. Quand on l’emmerdait, quand on le faisait chier avec des questions sur Manon, il avait appris aussi à être un parfait connard, à dire ce qu’il pense, à faire chier les autres en retour, et à tenir cette réputation. Il pouvait l’être même avec les filles, quand elles le collaient trop, quand il en avait marre d’elles, et il se prenait des gifles bien senties, auquel il ne répondait que par un sourire provocateur. Ou alors au contraire, quand il avait envie de passer du bon temps, il devint capable de leur forcer la main, d’être pervers et insistant, et puis de vous lâcher comme une chaussette trouée, bref, d’être un connard, quoi.